Jacques Chessex
Discours à la maison de Watteville
Fac-similé d'un document provenant du Fonds conservé aux ALS


Notice éditoriale
Jacques Chessex a prononcé, à l'occasion de la remise de ses archives personnelles aux Archives littéraires suisses, un discours reproduit en fac-similé dans ce dossier. Il s'agit de la première version, illustrée, du texte de son allocution. La transcription a été revue par l'auteur.
C'est la maison de Watteville, à Berne, lieu majestueux et important de la vie politique et culturelle de notre pays, qui nous accueillit lors de cette cérémonie, le 24 avril 1996. La conseillère fédérale Ruth Dreifuss ainsi qu'une quarantaine de personnalités, de parents, d'amis entouraient l'écrivain en cet instant.
La beauté des manuscrits du Fonds Jacques Chessex, leur intérêt, l'importance de cet auteur pour les Lettres romandes enrichissent heureusement le secteur des fonds de langue française aux Archives littéraires suisses. Les archives personnelles de l'écrivain comprennent naturellement la plupart des manuscrits de ses œuvres, mais aussi la correspondance de ses amis écrivains suisses et étrangers. En outre, de nombreux documents personnels, dont une centaine de dessins de l'auteur et une superbe collection d'autographes, rendent ce fonds plus attrayant encore.
Jacques Chessex est né à Payerne en 1934. Il reçoit en 1973 le prix Goncourt pour L'Ogre. Il habite maintenant Ropraz, dans le canton de Vaud.
Discours à la maison de Watteville
[1ère version, 22 avril 96]
Mme la Conseillère fédérale,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Qu'est-ce que des archives ? C'est le terreau et le soubassement de l'œuvre visible et lisible.
Il y a longtemps que je souhaitais, pour mes archives, leur installation à Berne. A vrai dire, dès que j'ai su la fondation des Archives littéraires, selon le vœu précis et fertile du grand Friedrich Dürrenmatt, j'ai vu que mes manuscrits, brouillons, approches, repentirs, dessins, gouaches, encres diverses et ratures multiples, oui, j'ai imaginé que tout ce fatras organisé, cette masse, ce buisson d'écriture et de formes plastiques prenne place un jour dans les compactus de la Bibliothèque nationale à Berne.
Et pourquoi Berne ? Je suis Vaudois, né dans la Broye, j'habite le Haut-Jorat entre un cimetière et une chaîne de montagnes, des alpes de Berne aux alpes françaises. L'Europe. Je publie mes livres à Paris et en Suisse. Berne, pour moi, c'est à la fois la capitale d'une Confédération d'états dont mon pays natal fait partie, c'est le centre organique de la Suisse, c'est une grande ville forte au cœur de l'Europe. Et c'est une ville inscrite dans une grande rivière, comme Rouen, chez Flaubert, l'écrivain qui m'importe depuis longtemps. Ville puissante et ville mouvante, terre et eau, ça me convient.
Ensuite il y a les écrivains qui ont déjà déposé leurs archives aux Archives. Maurice Chappaz, Corinna Bille, Pierre-Olivier Walzer, Bertil Galland. Tous gens de poésie et de pensée auxquels ma vie a été liée, amis que je connais depuis quarante ans, depuis trente ans, que je tutoie tous, et Corinna aussi, avec respect, je la tutoyais, la grande dame sauvage. Et aussi ceux que je ne connais ou connaissais pas, mais que j'admire, Blaise Cendrars, Ludwig Hohl, Otto Walter, Hermann Burger, Nicolas Meienberg, Giovanni Orelli. On est là en bonne compagnie, n'est-ce pas ?
Enfin, le sentiment qu'une œuvre qui se fait s'appuie sur ce substrat fécond de [pages travaillées] et aussi de correspondance, d'articles de presse, d'interventions, de témoignages, autant de témoins pour marquer les étapes, les haltes, les redéparts pour le seul chemin. Quelque chose comme une saisie physique et métaphysique du réel, puisque plus il y a de réel, plus il y a mystère, et sans doute plus il y a Dieu. C'est dans cette perspective aussi, Mesdames et Messieurs, que j'aime savoir mes archives en leur lieu. Et que je témoigne à ses directeurs et responsables, comme à la Confédération, ma reconnaissance sans faille pour leur accueil.
Jacques Chessex
[22 avril 1996]