Etrennes 2001 / Jahresgabe 2001

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Notice éditoriale
Les débuts littéraires d'Alice Rivaz coïncident avec un bouleversement du paysage éditorial en Europe et en Suisse romande. En 1936, dix ans avant le Club français du livre, Albert Mermoud fonde en Suisse La Guilde du livre. Ce coup de génie vaut à la Guilde un essor impressionnant ; l'arrivée de la guerre, qui pose des problèmes considérables à l'édition française, laisse momentanément aux éditeurs suisses de belles marges de manœuvre, - c'est une chance qu'ils savent saisir. Alice Rivaz est une guildienne de la première heure : elle est la treizième abonnée. Aussi, lorsqu'elle soumet pour lecture son manuscrit Nuages dans la main à C. F. Ramuz, elle pense certainement, sans trop y croire, à la Guilde. Ramuz était alors en effet la figure symbolique du Club, son " porte-drapeau ", comme l'écrit Mermoud.
Par la lettre du 17 août 1940 que nous vous proposons en fac-similé, Ramuz répond fort aimablement à l'envoi d'Alice Rivaz ; il l'encourage et lui annonce qu'il a immédiatement transmis son manuscrit à Mermoud. Tout va ensuite très vite ; le livre, accepté, est achevé d'imprimer le 10 décembre 1940.
Entre-temps Albert Mermoud a confié à Alice Rivaz quelques travaux au sein de la Guilde. C'est elle notamment qui choisit et rassemble les textes pour les volumes de l'Anthologie de la poésie française, préfacée et dirigée par Ramuz. Dans le film Plans-Fixes qui lui est consacré, l'auteure évoque le souvenir de son travail avec Ramuz et dit à quel point celui-ci avait été fâché que son nom à elle ne figure pas dans les volumes de l'anthologie. Elle garde de cette collaboration le souvenir d'un homme courtois, de " rapports de travail faits de dialogues, de conversations enjouées et fraternelles, de lectures communes et discutées ensemble comme [s'ils étaient] de même âge et à parfaite égalité " (Une Lecture à La Muette in Ce Nom qui n'est pas le mien).

Le deuxième fac-similé reproduit, quant à lui une double page d'un carnet de note d'Alice Rivaz. Elle y écrit : " Voici 40 ans que Ramuz est mort, et ce vers de Hugo m'étreint aujourd'hui 27 mai 1947, comme jamais auparavant ". Dans la marge elle donne la citation de Victor Hugo : " Comme à pleurer tout nous ramène. " Alice Rivaz a 86 ans au moment de la rédaction de ce souvenir. Elle utilise presque quotidiennement ses petits carnets pour y inscrire des plans de nouvelles, des listes de titres, des rendez-vous qu'elle ne doit pas oublier et des notes plus personnelles. Dans le cas présent, elle tente à plus de 40 ans de distance de ressaisir les contours fluctuants de sa relation avec Ramuz. Elle hésite entre l'admiration simple et le souvenir d'un sentiment d'amitié amoureuse qui lui aurait fait peur et l'aurait poussée soudainement à s'éloigner de Ramuz. Elle conclut, après douze feuillets manuscrits très raturés, révélant son trouble : " Je mesure et je pèse tout ce que j'ai perdu, infiniment plus que lui, par ma stupide attitude. Et jamais le mot irréparable ne m'a paru plus désespérant, voire sinistre […] ".

Biographie
Alice Rivaz, fille du militant socialiste Paul Golay, naît le 14 août 1901 à Rovray (VD). Après sa scolarité elle entre au Conservatoire de musique de Lausanne où elle obtient un diplôme d'enseignement du piano. Elle ne pourra toutefois pas entrer en classe de virtuosité en raison, dira-t-elle, de ses trop petites mains. Elle donne alors des leçons à domicile ou dans des pensionnats. Elle refuse à cette époque plusieurs propositions de mariage, affirme ainsi et par ses prises de position féministes sa volonté d'autonomie. Suivant le conseil de son père, elle acquiert une formation pratique et obtient en octobre 1921 un certificat de l'École de sténographie Underwood. Elle suit des cours d'allemand à Heidelberg en été 1922.

En juin 1925, Alice Rivaz est engagée au BIT où elle fait toute sa carrière profesionnelle, à l'exception d'une interruption pendant la guerre, de 1940 à 1947. En 1931, elle s'installe au no 5 de l'Avenue Weber à Genève, dans un petit appartement qu'elle ne quittera qu'en 1991.
Durant les années de chômage de la Deuxième Guerre mondiale Alice Rivaz écrira et publiera ses premiers romans : Nuages dans la main (1940), Comme le sable (1946), La Paix des ruches (1947). Elle obtient le Prix Schiller en 1942.

En 1961, la retraite permet enfin à Alice Rivaz de renouer avec l'écriture, inaugurant ainsi la deuxième phase de son activité littéraire. Une série d'ouvrages vont paraître coup sur coup. Deux recueils de nouvelles : Sans Alcool (1961), De mémoire et d'oubli (1973). Trois récits autobiographiques : Comptez vos jours (1966), L'Alphabet du matin (1969), Ce nom qui n'est pas le mien(1980). Deux nouveaux romans : Le Creux de la vague (1967), Jette ton pain (1979). En 1980, son œuvre romanesque est couronné par le Grand Prix C. F. Ramuz. En 1983, elle publie chez Bertil Galland Traces de vie, des extraits de ses carnets de notes. Elle termine sa vie dans une maison de retraite à Genthod où elle meurt le 27 février 1998.
On fête cette année le centième anniversaire de sa naissance.